Le talent du geste sculptural, en relation avec la puissance des matériaux et leurs caractéristiques intrinsèques, permet aux artistes de développer de nouvelles stratégies visuelles et des structures narratives dynamiques. La céramique reste un outil très prisé dans la pratique artistique des générations contemporaines : grâce à ses qualités physiques et techniques, elle permet de créer des œuvres qui allient fragilité et robustesse, symbolisme et esthétique.
Par Emanuela Mazzonis
Le souci du détail
La jeune Antoinette d’Ansembourg (1994, Bruxelles), représentée par Belgian Gallery, Bruxelles, déclare : « Je dessine et je sculpte parce que j’aime éviter les mots. » À travers la création d’objets, de la nature aux liquides qui circulent dans les êtres vivants, elle invente des formes qui évoquent l’unicité de la nature. À la manière de mondes miniatures, hyper-détaillés, vibrants de couleurs et fantaisistes dans leurs formes, l’artiste éveille notre curiosité vers de nouveaux univers visuels. De manière similaire, les créations hybrides de Nel Bonte (1986, Roeselare), représentée par Eva Steynen Gallery, Anvers, nous invitent à réfléchir à la tension des formes, à la vulnérabilité des gestes et à la délicatesse des détails. Observatrice attentive de la réalité environnante, elle repère les objets du quotidien pour leur donner une nouvelle vie, en décontextualisant l’habituel par l’agrandissement ou la réduction. L’artiste redirige notre perception afin d’élargir notre capacité d’observation : nous devenons enquêteurs de la réalité qui nous entoure. L’organique devient inorganique, le grand devient petit, le réel devient symbolique : l’artiste invente un nouveau vocabulaire esthétique et visuel.
L'art de la reproduction
Le pouvoir constructif de la céramique se révèle encore dans les histoires sculptées par Daria Krotova (1971, Russie), représentée par la Galerie Lazarew, Paris. À l’instar de natures mortes peintes, les objets construits deviennent ici éternels et défient la temporalité du présent. Une réflexion complexe sur la mortalité, le passage inexorable du temps et la mémoire qui marque notre passé. L’artiste cherche à pousser notre perception à son paroxysme, jusqu’au dégoût face à ce que nous observons. L’art doit transcender le concept de beauté et provoquer un choc pour susciter une réaction intense. La décontextualisation des objets de leur habitat naturel est également centrale dans le travail de Stephané Edith Conradie (1990, Namibie), représentée par Ceysson & Bénétière, Luxembourg. Ses créations rendent hommage aux objets modestes et ordinaires qui décorent les foyers de Namibie et d’Afrique du Sud, où elle vit aujourd’hui. Que symbolisent ces objets pour une communauté longtemps soumise au colonialisme et dont l’identité a été cachée et limitée par la domination étrangère ? Que signifie aujourd’hui pouvoir redécouvrir cette identité, et comment les populations continuent-elles de faire face à des obstacles tels que les minorités ethniques et la discrimination sociale ?
Entre environnement naturel et relations humaines
Les possibilités infinies offertes par la céramique se retrouvent dans les œuvres de Bente Skjøttgaard (1961, Danemark), représentée par Galerie Maria Lund, Paris. Des formes naturelles évoquant l’unicité de la nature — troncs, branches, feuilles, tiges et pétales — deviennent des objets éternels flottant dans l’espace, comme des éléments intemporels. L’artiste nous rappelle le caractère cyclique de la vie : tout s’écoule selon un dessein. Nous, humains, n’avons pas encore le pouvoir de contrôler ce cycle de vie ; nous ne pouvons qu’en rester des observateurs passifs. Nous pouvons admirer ce que la nature nous offre et apprendre à respecter l’environnement dans lequel nous sommes placés, en prenant soin de notre planète. La relation entre la nature et l’environnement humain est au centre du travail de Cristiano Carotti (1981, Italie), représenté par Contemporary Cluster, Rome. Un tournant fondamental dans sa carrière fut sa rencontre avec la céramique, lorsqu’il réoriente son investigation vers la nature, créant des ruches en céramique et des moulages de véritables rayons de miel sauvages. Il conçoit la sculpture comme un rituel alchimique visant à atteindre le sacré, attribuant une aura magique à chacune de ses créations. Enfin, la céramique revient également dans les recherches de Eddy Firmin (1971, Guadeloupe), représenté par Art Mûr, Montréal. Artiste noir originaire des Caraïbes, il concentre ses recherches sur l’importance du corps comme outil d’analyse sociale. Intéressé par des idées et pratiques peu courantes dans la tradition occidentale, il cherche à réintégrer les codes des coutumes ancestrales caribéennes dans les médias visuels contemporains. Au cœur de son travail se trouve la politique du partage des connaissances : elle crée un espace de tolérance profonde et de dialogue avec autrui. Ses œuvres nous invitent à réfléchir aux défis auxquels nous faisons face et à l’effort nécessaire pour accepter les autres, quelles que soient leurs origines, leurs parcours et leur identité sociale.