Cette interview a été réalisée par Livia Klein.
Vous présentez It Happened Tomorrow dans le cadre de Capsules à Luxembourg Art Week. Pouvez-vous nous dire un peu ce que les visiteurs y découvriront ?
C’est une expérience théâtrale, un passage vers une autre dimension où le spectateur devient l’entité la plus petite de la scène. L’installation invite au mouvement et à des perspectives changeantes.
Qu’est-ce qui a inspiré la vision initiale de cette œuvre ?
Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’appel à projets, je savais que je voulais créer un environnement immersif capable de relier ma période « champignons » avec mes peintures plus récentes de type « surréaliste ». J’étais assis à mon bureau, regardant la lithographie Conjunction of Opposites — ces lignes de forêt qui semblaient presque pouvoir s’échapper de l’image pour entrer dans la réalité, comme lorsqu’un film mêle animation et monde réel, à la manière de Fantasia, quand l’animation envahit soudain la scène. C’était l’étincelle. À partir de là, le projet a grandi de manière organique : récupérer des châssis de fenêtres abandonnés sur un chantier voisin pour construire une maquette, ramasser des morceaux de bois lors de mes courses dans le Bois de la Cambre (avant de réaliser que ce n’était pas vraiment autorisé), et reprendre contact avec Guillaume d’Outremont du GDO Project, qui travaille le bois de sa propre forêt. Je me suis aussi souvenu de Jérôme d’Opifex — un atelier d’impression rue du Bailli, avec un scanner presque magique qui permet de jouer avec l’échelle sans perdre de détail. Les sculptures de champignons étaient déjà dans l’atelier, en attente. Les conversations avec des amis proches m’ont aidé à clarifier certaines choses ; peut-être que recouvrir le sol de « sable bleu » sera pour une autre fois.
Le format Capsules, avec ses deux vitrines, est assez particulier. Quelle a été votre première impression en envisageant de présenter votre travail dans ce type d’espace ?
Au début, cela semblait restrictif — les deux fenêtres paraissaient trop petites pour contenir le projet. Mais une graine a été plantée. Après réflexion, j’ai décidé de réimaginer entièrement la pièce. Pour moi, les champignons incarnent adaptabilité et transformation, j’ai donc commencé à envisager la vitrine comme un théâtre kaléidoscopique. J’aime l’idée qu’on ne puisse pas tout saisir d’un coup — il faut se déplacer, laisser sa perception se déployer.
Et que vouliez-vous que cette vitrine, si ouverte sur la rue, communique aux passants ?
La vitrine reflète également mon intérêt pour la manière dont l’art exposé dans l’espace public peut réintroduire la contemplation dans un monde distrait — offrir une pause, un moment de respiration visuelle. Au fil du processus, j’ai découvert que l’espace avait autrefois accueilli la Pharmacie du Pélican. Le pélican, dans la tradition alchimique, représente le sacrifice de soi et le renouveau — un écho de mon désir de reconnecter les formes ancestrales et contemporaines de guérison, de faire résonner intuition et science. Un livre m’a accompagné tout au long de la création — Braiding Sweetgrass, qui parle de la sagesse autochtone, des connaissances scientifiques et des enseignements des plantes.
Et comment est venue l’idée d’utiliser des champignons et des branches ?
Pour créer une sorte de forêt, une écriture verticale et horizontale, comme une composition musicale. Les champignons faits à la main prolongent l’image peinte dans l’espace, tandis que les branches tombées, récupérées avec l’aide de Guillaume d’Outremont, ancrent la composition. Renaud a aidé au transport, et l’équipe de Luxembourg Art Week a soutenu l’installation et la logistique. Je voulais faire résonner l’imaginaire et l’organique, laisser ces différentes réalités dialoguer — une « conjonction des contraires ». Les champignons portent une certaine énergie de croissance et d’imagination ; les branches, dépouillées et rongées par les insectes, racontent une autre histoire — celle de la décomposition, de la persistance et du renouveau. Elles viennent d’un arbre mort, et pourtant elles génèrent encore vie, mouvement et réflexion.
Lorsque vous utilisez ces formes naturelles, les considérez-vous davantage comme des matériaux ou comme des symboles ?
Comme des symboles — d’adaptation, de transformation et de résilience créative ancrée dans le monde naturel. Les branches évoquent la forêt tangible et, avec les champignons, le réseau invisible qui relie tout. Les intégrer était une façon de traduire les cycles de la matière en cycles de sens. J’aime aussi le fait que, si l’on observe attentivement, les branches portent aussi des lichens et de petits champignons, ajoutant encore des couches de vie et de détails à la composition.
Il semble que vos œuvres oscillent entre croissance et décomposition. Qu’est-ce qui vous fascine dans ce moment intermédiaire de transformation ?
Je dois fermer les yeux pour répondre à cela, et ce que je ressens, c’est le mouvement. Cet état intermédiaire est comme une respiration — être vivant et capable de se transformer. Il est en action, pas statique, pas figé.
Pensez-vous que les matériaux ont leur propre agentivité ou mémoire ?
Oui, définitivement. La lithographie issue de la pierre portait sa propre énergie. C’est pourquoi il était important d’ajouter de nouvelles couches de peinture après qu’elle ait été numérisée et imprimée sur la bannière. Ce n’était pas prévu au départ, mais je ne pouvais pas la laisser partir sans marquer sa transformation, devenant une bannière tendue de 9 mètres. Les lieux contiennent aussi des vibrations, des mémoires, voire des fantômes — des traces qui façonnent l’œuvre autant que les matériaux eux-mêmes.
Le titre It Happened Tomorrow est magnifique. Que signifie-t-il pour vous ?
Il s’agit de la fluidité du temps — le passé, le présent et le futur se façonnent constamment les uns les autres. Un rappel que chaque geste, aussi petit soit-il, a un impact ; que demain commence avec ce que nous faisons aujourd’hui.
Le temps semble jouer un rôle central dans votre travail. Comment le concevez-vous sur le plan conceptuel ?
Je ne suis même pas sûr que le temps existe de façon linéaire.
Et comment cette idée se traduit-elle visuellement dans It Happened Tomorrow ?
Dans l’installation, différents matériaux incarnent différentes temporalités — la bannière peinte (eau), les sculptures de champignons (air et feu, à travers leur métal et leur mousse), les branches (terre). Chacun possède son propre rythme, mais ensemble ils coexistent harmonieusement, comme les cultures des « trois sœurs » dans Braiding Sweetgrass. Des fragments de différents moments resurgissent et se reconnectent : la bannière, adaptée d’une lithographie de 2024 ; les champignons, créés entre 2021 et 2024 — rééveillés d’une certaine manière après une période de dormance. Le temps, ici, est cyclique et poreux, un tissage de gestes, de souvenirs et de transformations.
Diriez-vous que l’art peut fonctionner comme une forme contemporaine de rituel ou de gratitude envers le monde naturel ?
Oui. Je pense que c’est aussi l’un de ses objectifs, dans de nombreux cas, bien que ce n’ait jamais été sa seule finalité. Je ne sais pas assez pour le revendiquer comme une finalité ultime ; le faire serait tenter de réécrire toute l’histoire de l’art. Mais cela me fait penser à Richard Long, dont les marches et les agencements dans le paysage semblaient être des actes de dévotion envers la Terre. Ensuite, je pense aux araignées de Louise Bourgeois, qui se rapportent davantage à la maternité, à la protection, une autre manière dont le humain et le naturel s’entrelacent. Je pense aussi à Rothko, en imaginant qu’il était profondément connecté au mythologique, à ce que la nature contient en elle-même, des esprits cachés. Peu à peu, petit à petit, il est allé vers l’abstraction pour refléter les vagues de respiration, le fait d’être vivant. C’est ainsi que je perçois sa peinture. Idem pour Van Gogh, dont les œuvres semblent toujours animées. J’ai tendance à sauter ici et là quand je parle, mais cela fait partie de la façon dont les idées se relient pour moi.
Lorsque vous revenez à des motifs antérieurs, comme les champignons, se transforment-ils avec vous, ou sentez-vous qu’ils conservent quelque chose de leur moment originel ?
Les deux. Toujours les mêmes, et jamais les mêmes. Je sais que cela peut sembler étrange, mais j’ai l’impression que les « visages » de mes champignons ont évolué presque comme des personnages de bande dessinée. Chacun a sa propre personnalité, et avec le temps, ils développent des expressions et des gestes qui changent avec moi et selon le contexte. Les champignons portent les traces de leur première création, mais ils évoluent aussi à mesure que je change, lorsqu’ils sont placés dans de nouveaux contextes et combinés à de nouveaux matériaux. Chaque retour à un motif ressemble à la rencontre d’un vieil ami qui a grandi et changé tout en restant reconnaissable.
Vos peintures semblent souvent s’étendre dans l’espace. Comment la peinture se mêle-t-elle à la sculpture dans cette installation ?
J’ai toujours perçu mon travail sculptural comme des peintures qui ont pris vie dans la troisième dimension. Elles naissent du même geste, du même langage visuel.
Vous revenez souvent à des motifs naturels. Qu’est-ce qui vous attire toujours vers eux ?
Cela fait partie de mes racines — faire face à la forêt au quotidien et grandir avec des parents qui étaient biologistes et vétérinaires avant de devenir entrepreneurs. La nature a toujours été et est toujours présente. Elle enseigne l’observation, la patience et la résilience. C’est aussi là que je trouve mon équilibre.
Voyez-vous votre travail comme une tentative de réconcilier l’humain et le non-humain ?
Oui. Il reconnaît que nous ne faisons qu’un, révélant les réseaux subtils qui relient les humains et la nature à travers la forme, le matériau et le geste.
Vos œuvres semblent équilibrer rêve et réalité. Où vous situez-vous entre ces deux mondes ?
Peut-être comme un traducteur entre eux. Je navigue dans les deux — l’un nourrit l’autre. Cet équilibre continue d’évoluer grâce à la pratique, au yoga, au temps passé dans la nature et aux personnes proches de moi.
Présenter cette pièce au Luxembourg a-t-il une résonance particulière pour vous ?
Oui, profondément. C’est mon chez-moi, mes racines. Présenter ce travail ici ressemble à un retour — les champignons prenant place dans un sol familier. Valerius a soutenu mes premières peintures de champignons, et je suis heureux qu’elles fassent à nouveau partie de ce parcours, entrant maintenant à la Luxembourg Art Week via le programme Capsules.
Et enfin, que souhaitez-vous que les gens emportent avec eux lorsqu’ils s’arrêtent devant votre vitrine ?
La joie, oui, mais aussi le rappel que même les plus petits gestes laissent leur empreinte dans le temps et influencent le monde à leur manière.