Conversation en tandem avec Michael Janssen (Michael Janssen Gallery) et l'artiste Yafeng Duan, menée par Emanuela Mazzonis
Emanuela Mazzonis : Bonjour, Michael Janssen et Yafeng Duan. Merci de participer à ce cycle d’interviews consacré à une sélection de galeries qui exposent pour la première fois à la Luxembourg Art Week. Je voudrais commencer avec Michael en lui demandant de présenter sa galerie, fondée à Cologne en 1995, où elle a opéré pendant douze ans et montré plus de quatre-vingts expositions. En 2007, la galerie a déménagé à Berlin, et en 2012, une succursale de la galerie a ouvert à Singapour. La galerie développe un programme contemporain avec des artistes issus principalement d’Europe, des États-Unis et de l’Asie du Sud-Est.
Michel Janssen : Merci. Comme tu viens de le dire, la galerie a été fondée à Cologne en 1995. Outre sa vitrine officielle à Singapour de 2012 à 2015, elle a également opéré à Los Angeles sous le nom de The Happy Lion de 2002 à 2006. L’espace était situé dans Chinatown, au centre-ville de Los Angeles. Le focus de la galerie a toujours été sur la peinture sous toutes des formes, de l’abstraction à la figuration. Au début, elle représentait principalement des artistes des États-Unis et d’Europe, mais en 2011, le programme a été élargi pour inclure des artistes d’Asie du Sud-Est, tels que Titarubi, l’une des artistes qui a représenté l’Indonésie à la Biennale de Venise en 2012, et Ho Tzu Nyen, dont les films et vidéos figurent aujourd’hui dans les biennales et musées du monde entier. Sa première grande exposition personnelle, intitulée Phythagoras, a eu lieu dans notre galerie de Singapour en 2013.
EM : Yafeng, tes peintures sont inspirées par la nature – la nature comme miroir de l’âme. Leurs couleurs font référence aux couleurs de la nature, et leurs formes semblent flotter à la surface et s’étendre au-delà du cadre vers un espace abstrait qui dépasse notre imagination. Tes compositions sont à la fois délicates et pleines d’énergie et de mouvement. Elles me font penser à Kandinsky, dont les œuvres se signalent par leur musicalité et leur quête de beauté intérieure. Kandinsky pensait que les couleurs entraient en résonnance les unes avec les autres pour produire des « accords » visuels qui touchaient l’âme humaine. Dans tes peintures, je perçois également un concert de couleurs et de formes qui créent une sorte d’expression spirituelle. Nature, spiritualité, matérialité, abstraction, harmonie, beauté – comment ces thèmes animent-ils ton art ?
Yafeng Duan : Tu dis que les couleurs de mes peintures font référence aux couleurs de la nature – je dirais plutôt qu’elles se rapportent à mes expériences et à mon ressenti de phénomènes naturels, et non aux couleurs de la nature en tant que telles. Il en va de même pour les formes dans mes peintures. Je ressens la nature à chaque instant. Les oiseaux laissent leurs empreintes sur la neige. Les branches se balancent dans le vent. Le ciel change de couleur au coucher du soleil. Les oiseaux chantent doucement dans le crépuscule. L’air du matin a l’odeur de la terre et du ciel. Les nuages de pluie filent dans le vent et laissent tomber leurs chapelets de gouttes. Je ressens les saisons et la manière dont les êtres vivants changent sous leur influence. J’aime explorer la nature avec mon nez, mes oreilles, mes mains, ma peau. Je veux percevoir ce que nous ne pouvons pas voir avec nos yeux. C’est une connexion intérieure et un sentiment de pleine présence. Le temps s’arrête et toutes les autres pensées et sensations disparaissent. C’est le sentiment d’être complètement remplie de la perception des phénomènes dans toute leur splendeur.
MJ : Je devrais peut-être mentionner brièvement que j’ai rencontré Yafeng au début de cette année et que j’ai visité son studio pour la première fois au printemps. Avant cela, je n’avais vu que des photographies de ses peintures. J’ai été surpris de l’effet que cette interaction entre nature et abstraction dans ses peintures produit dans la réalité. Yafeng peint avec une précision incroyable. Et si nombre de ses sujets font référence à la peinture traditionnelle chinoise à l’encre, elle occupe l’espace pictural avec une telle aisance qu’elle tisse de manière virtuose une relation entre traditions anciennes et abstraction expressive. Il s’en dégage toujours un calme et une force incroyables. C’est vraiment important de les voir en vrai.
EM : Michael, ta galerie représente surtout des artistes qui travaillent sur toile ou des supports plus ou moins traditionnels. Si l’on considère l’exposition The Milk of Dreams de Cecilia Alemani à la Biennale de Venise – en particulier les œuvres de Louise Bonnet, Portia Zvavahera, Christina Quarles, Jana Euler, Allison Katz et Charline von Heyl – pourrait-on dire que dans le monde de l’art, on assiste ä un retour à la peinture ? Michael et Yafeng, pensez-vous que les artistes contemporains continueront à pratiquer la peinture – dans un monde de plus en plus dominé par les médias et dispositifs numériques, qui commencent déjà à remplacer les compétences artistiques manuelles ?
YD : Cela me ramène à la question de la spiritualité dans mon art que tu as abordée plus tôt. Kandinsky a parlé de l’artiste comme étant doté d’une « perception fine » dont sont privés la plupart des gens, et il pense que c’est la tâche des artistes de rendre ces perceptions accessibles aux autres à travers leur travail. Les phénomènes que j’ai décrits plus haut, je les vois également comme des « perceptions fines », des anticipations atmosphériques de l’essence des phénomènes naturels. Mes peintures sont très atmosphériques, elles sont constituées de nombreuses couches de peinture épaisse et de vernis. Il en résulte des effets d’interaction et de transparence. Certaines couleurs s’entremêlent, tandis que d’autres ont des contours clairs. Les deux méthodes fonctionnent ensemble et créent des tensions. Mes peintures invitent à l’immersion. Les parties vierges permettent aux spectateurs d’y projeter leurs propres interprétations. Les différents éléments picturaux s’échappent du tableau dans toutes les directions. Le spectateur peut ressentir cet espace devant ou autour du tableau, mais il se laisse difficilement capter en photo. Je n’accorde pas d’importance au fait que mes peintures soient « belles » ou « harmonieuses », car elles reflètent mon ressenti intérieur de phénomènes naturels. Comme je l’ai dit plus tôt, ce qui compte, c’est leur résonance intérieure, le fait qu’elles permettent au spectateur de percevoir l’essence des choses.
EM : Pour finir, j’aimerais demander à Michael de nous donner un aperçu de son stand à la foire.
MJ : À ce jour, le travail de Yafeng n’a guère été montré à l’international. C’est pourquoi j’ai décidé de consacrer notre stand à une exposition personnelle qui montre la diversité et la singularité de son travail. Nous y présenterons une ou deux œuvres de grand format et plusieurs petits formats.