Godefroy Gordet
Le parcours d’un artiste est souvent déterminé par l’obtention d’un prix. Aide financière et surtout légitimité des pairs, qu’on le veuille ou non, se voir auréolé d’un prix est une marche à gravir, presque obligatoirement dans une carrière artistique. Le Luxembourg sait récompenser la singularité, l’innovation et l’excellence de ses artistes. Pourtant, s’ils veulent voir leur carrière s’envoler, il s’agit aussi pour les artistes luxembourgeois, de toucher du doigt, voire d’embrasser, l’une ou l’autre récompense internationale. Les plus prestigieuses sont des sésames inébranlables, tels que le Turner Prize et ses 25 000 £ offertes au gagnant adoubé, sorti de la shortlist composée de Heather Phillipson, Ingrid Pollard, Veronica Ryan, Sin Wai Kin, de laquelle le vainqueur sera annoncé en décembre lors de la cérémonie au Tate de Liverpool. Le fructueux Prix Hugo-Boss, administré par la fondation Solomon R. Guggenheim, récompense tous les deux ans depuis 1996 un artiste aux travaux novateurs. Désignés par un jury composé de conservateurs et de critiques du monde de l’art, il est garni d’une bourse de 100 000 dollars et fait la pluie et le beau temps sur la renommée naissante ou pérenne d’artistes internationaux, à l’image de l’américaine Deana Lawson, primée en 2020.
Aujourd’hui, les prix se multiplient, à la faveur de fondations d’entreprises et philanthropes qui rivalisent de moyens pour récompenser l’art contemporain sous toutes ses formes, par des prix qui évidemment valorisent leur nom, tels que le Prix de la Fondation Ricard, le Prix HSBC pour la photographie, le Prix MAIF pour la sculpture, celui de Sciences Po pour l’art contemporain, ou encore le « Nouveau Prix de Rome », décerné par l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, ressuscité en 2014 des cendres du Prix de Rome supprimé en 1968 par André Malraux. Ou encore, le Lion d’or de la Biennale de Venise, dont on connaitra les lauréats de sa 59e édition à la fin novembre 2022, et qui avait récompensé la luxembourgeoise Su Mei Tsé pour la Meilleure participation nationale en 2003. Un exemple parmi d’autres qui montre la présence des artistes contemporains du pays dans les plus hautes sphères « critiques » du monde de l’art. Aussi, tentons un tour d’horizon ces artistes du Grand-Duché, primés à l’international, et fiertés nationales.
Su-Mei Tse
Représentée par la galerie Nosbaum Reding, Su-Mei Tse a reçu en 2003, le Lion d’or à la Biennale de Venise, pour la Meilleure participation nationale, avec son exposition Air conditioned au pavillon luxembourgeois. C’est l’une des plus grandes récompenses qu’un artiste luxembourgeois ait reçues. Depuis, elle connait un parcours professionnel et artistique absolument hors norme, exposant ses installations, vidéos et sculptures aux quatre coins du monde, de l’Asie aux États-Unis, en passant bien-sûr par l’Europe. Son œuvre non sans humour, poétique et introspective s’attarde à questionner le temps, le souvenir, la musicalité ou encore le langage. Outre le Lion d’or, elle a reçu dans sa carrière le Prix Edward Steichen en 2005, le Prix international d’art contemporain de Monaco en 2009, et la résidence à la prestigieuse Villa Médicis, à Rome, en 2014. Ses œuvres figurent dans de prestigieuses collections publiques.
Jean Bechameil & Martine Feipel
Représentés par Zidoun-Bossuyt Gallery, Jean Bechameil et Martine Feipel collaborent depuis 2008 à interroger notre perception de l’espace. Après avoir débuté leur carrière en solo, voilà près de quinze ans, qu’ensemble, ils cherchent à montrer dans leur travail artistique, « la complexité d’idées cachées dans la façon traditionnelle de construire l’espace et le temps ». Ils ont représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise en 2011 et ont été invités par de nombreuses institutions internationales telles que la Kunstmuseum Bonn, le Pavillon de l’Arsenal à Paris, ou la Triennale de Beaufort. En 2012, Martine Feipel et Jean Bechameil ont été sélectionnés pour la résidence d'artiste, à la Cité internationale des arts à Paris. En 2017, le Casino Luxembourg leur a consacré une exposition monographique. Ils font partis des 22 artistes sélectionnés par Tisséo Collectivités pour concevoir une œuvre qui sera exposée dans la station Parc Technologique du Canal, de la future troisième ligne du métro de Toulouse.
Marco Godinho
Représenté par la Galerie Art Attitude Hervé Bize, Marco Godinho s’intéresse depuis plus de quinze ans, à la perception subjective du temps et de l’espace. Une recherche artistique conceptualisée, et complétée par son affection réflexive envers la littérature, la philosophie et la poésie. Sculptures, installations, vidéos, photos, performances, livres, par ces médiums Godinho s’applique à explorer les thèmes de l’errance, l’exil, la mémoire et le « temps vécu », par une approche où il utilise son vécu d’artiste nomade au service de son œuvre. Il a représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise en 2019 et cumule bourses, prix et nominations de par le monde, comme par exemple, sa nomination au Prix International Shpilman pour l’Excellence Photographique en 2018 par le Israël Museum, sa présence dans la shortlist du Zurich Art Price, ou encore dans celle de la Salomon Foundation Residency Award en 2015.
David Brognon & Stéphanie Rollin
Depuis 2004, David Brognon & Stéphanie Rollin sont décrits par la directrice du Mamac de Nice, Hélène Guenin, comme des « explorateurs des abysses » attentifs aux « petites épiphanies de la vie ». Difficile de mieux parler du duo qui exulte de par les outils que sont la vidéo, la sculpture, la performance, le dessin, l’installation. Forgé de sensibilité et de dureté, leurs œuvres usent de minimalisme pour donner puissance à des débats autour de l’enfermement, du contrôle, des drogues. En 2013, ils reçoivent le prestigieux Pirelli Prize qui récompense le meilleur solo show à la foire d’art contemporain de Bruxelles. En 2015, le Marina Abramovic Institute a présenté leur œuvre Cosmographia. En 2020, ils ont été invités par le Mac Val, en France, pour une exposition monographique. En février 2021, la Ville de Luxembourg a inauguré leur œuvre Première ligne installée sur le P+R Bouillon. On retrouve leurs œuvres dans les collections du Mac’s du Grand-Hornu, du Mudam, du CNAP, dans plusieurs Frac, au MNHA…
Sophie Jung
Sophie Jung travaille et vit entre Londres et Bâle sans se lasser de revenir au pays pour y montrer son travail textuel, sculptural et performatif. Personnalité étonnante du monde de l’art, Sophie Jung chahute régulièrement de par son travail pétillant, spontané et détonnant. Faisant se côtoyer dans son œuvre tournure et affect, pragmatisme et romantisme, précision et fantaisie, l’artiste se joue de la forme et du ressenti avec malice. Son travail artistique voyage dans le monde, aux États-Unis, en Suisse ou en Angleterre, dans des lieux tels que l’Institut suisse de Milan (2020), au Kunstmuseum Basel (2018), à Blain Southern à Londres (2018). En 2016 et 2019, elle s’est vu décerner le prix Swiss Art Awards, et a reçu le Manor Kunstpreis en 2018.
Claudia Passeri
Logée entre le Luxembourg et Pérouse, en Italie, Claudia Passeri est une artiste conceptuelle utilisant l’appareil photographique pour offrir des histoires par les images qu’elle en tire. Questionnant leur réalité et leur pouvoir, ces images retracent un contexte, autant que l’actualité sociale, politique et environnementale dont elles sont issues. En 2016, elle est accueillie dans une résidence de recherche à la Fonderie Darling de Montréal au Canada. En 2019, le jury du Prix Modigliani lui décerne une mention spéciale pour son œuvre Papillons de résistance, pour ses liens avec un nouveau récit de la mémoire historique et politique italienne, et de la ville de Livourne en particulier. La même année, elle a représenté le Luxembourg aux Rencontres de la photographie à Arles par le biais de l'association luxembourgeoise Lët'z Arles. Son oeuvre Zeitgeist - Karl Cobain est installé de manière permanente au café du Casino Luxembourg. Son travail est montré régulièrement en Belgique, en France, en Italie, au Luxembourg et aux États-Unis.
Karolina Markiewicz et Pascal Piron
En duo depuis 2013, suite à une exposition au Kiosk de l’Aica pour leur premier projet commun Everybody should have the right to die in an expensive car, Karolina Markiewicz et Pascal Piron développent leurs recherches artistiques par l’intermédiaire du cinéma documentaire, de la réalité virtuelle, des arts visuels au sens large, ou encore du théâtre. L’amplitude de leur univers esthétique et psychique est immense, plaçant l’individu, « en tant que partie d'une communauté humaine, oscillant entre la résignation et l'espoir », au centre de leurs préoccupations artistiques. Voyageant avec leurs œuvres dans le monde entier, en 2020, leur film My Identity is this expanse! reçoit le Best Sound Award au 360° Film Festival, en France, et en 2021, leur documentaire The Living Witnesses a reçu le Grand Prix au FLICKERS' Riiff 2021, à Rhode Island aux États-Unis.
Mike Bourscheid
Sélectionné pour représenter le Luxembourg à la 57e Biennale de Venise, Mike Bourscheid travaille et vit à Vancouver au Canada, pour régulièrement se montrer dans des performances rocambolesques au Luxembourg. Dans son approche il s’attèle à détourner des objets qui nous sont familiers, pour livrer des pièces et performances en costumes – qu’il conçoit lui-même –, et ainsi porter des thématiques comme l'identité de genre, l'héritage familial et l'histoire. Ses récentes expositions à la Access Gallery Vancouver, au Centre d’art Œil de Poisson à Quebec City, ou au Centre d’art Nei Liicht à Dudelange, résument assez bien son implantation. En 2010, il a reçu le IBB-Preis für Fotografie, et en 2015, il a été nominé pour le Prix d’art Robert Schuman.
Filip Markiewicz
Représenté par Aeroplastics, Filip Markiewicz est un artiste pluridisciplinaire, privilégiant le dessin, bien qu’officiant dans de multiples champs tels que la peinture, l’installation, la performance, la vidéo, le spectacle vivant, et la musique sous son projet RAFTSIDE. Obnubilé par les affres du quotidien de nos vies, son travail transmet son exploration sur « l’omniprésence de l’image ». Très incisif sur les thématiques politique et sociale, Markiewicz se nourrit de l’invraisemblable actualité de notre monde pour le questionner. Il a représenté le Luxembourg à la 56e Biennale de Venise, en 2015. En 2020, il expose au National Museum of Contemporary Art de Bucarest et remporte le Prix Pierre Werner. En 2021, il a participé aux Rencontres internationales Paris/Berlin. Ses œuvres sont dans plusieurs collections publiques et privées (Mudam, MNHA, BPS22…).
Tina Gillen
Représentée par la galerie Nosbaum Reding, Tina Gillen n’a de cesse que de faire évoluer son œuvre picturale depuis les années 90. Intéressée par les glissement et grincement qui existent entre figuration et abstraction, ses toiles font flirter les narrations du fictionnel et du réel. Dans ses tableaux, si Gillen les dénude de silhouettes et figures humaines, on y ressent leur présence au travers d’éléments urbanistiques ou architecturaux très graphiques et géométriques, plongeant le spectateur dans un univers énigmatique. Ses intérêts récents la pousse à interroger « les phénomènes naturels qui échappent au contrôle des Hommes », tissant des liens entres les problématiques climatiques actuelles. Dans ce sens, Tina Gillen a été sélectionnée pour présenter son exposition monumentales Faraway So Close, formulée par des installations picturales, dans le cadre du Pavillon du Luxembourg à la 59e Biennale de Venise, reportée en 2022.
Aline Bouvy
Représentée par les galeries Baronian Xippas de Bruxelles et la galerie Nosbaum Reding de Luxembourg-ville, Aline Bouvy montre, par une approche multidisciplinaire, un travail allant à l’encontre des normes et valeurs de notre société. Dans ses pièces, Bouvy utilise ce qui est considéré comme « sale » ou « laid » pour éclater toutes formes de catégorisation. Complètement et consciemment « out of the box », Aline Bouvy est une artiste au tempérament libre, ouvrant à un questionnement sociétal puissant par des œuvres qui, au-delà de la provocation, font résonner la notion de « hors norme ». Passée en solo entre 2013 et 2014, après des travaux collaboratifs avec le collectif TALE (The After Lucy Experiment), ou en duo avec l’artiste belge John Gillis, Bouvy s’est largement émancipé, pour faire voyager son travail de par le monde. Lauréate de la mention spéciale du jury du Prix Robert Schuman en 2020, récemment, elle s’est vue remettre la bourse Francis-André par le Fonds culturel national, pour son projet Potential for Shame, exposé à l’aube de l’année 2022 au MAC's Grand-Hornu à Mons, en Belgique.