Loïc Millot
Que l’on œuvre dans le secteur bancaire ou celui des technologies, nul besoin d’être connaisseur pour entamer une collection d’art contemporain. Un peu de curiosité, d’audace et de générosité suffiront. Cependant, trop de préjugés entourent encore cette pratique : collectionner serait réservé à un cercle de gens éclairés, à quelques privilégiés détenteurs du « bon goût »... Ainsi sacralisé, le milieu de l’art contemporain interdit, intimide, met à distance, au lieu de nous rapprocher. On n’ose alors pas franchir le pas de l’acquisition. Un geste pourtant facile à accomplir et qui présente de nombreux avantages.
Stimuler la production artistique
À la façon du mécène autrefois, le collectionneur est aux côtés du galeriste et de l’artiste un acteur essentiel du marché. En acquérant une œuvre, il soutient la production actuelle : il encourage l’artiste dans son effort et valorise sa création, contribuant sur le long terme à favoriser sa carrière professionnelle. Le collectionneur opère ainsi au sein d’un modèle économique qui donne une valeur marchande à un objet esthétique, ce qui permet à l’artiste d’être rémunéré et de poursuivre son travail dans de bonnes conditions matérielles. À l’ère d’Internet, la multiplication des formes et des supports que l’on observe aujourd’hui dans l’art contemporain – peintures, installations vidéo, collages, tissages, néons, photos, réalité virtuelle, NFT, etc. – traduit sans hiérarchie de valeurs la diversité des sensibilités. Il n’est pas d’œuvre qui ne puisse désormais trouver son public, ni de public qui ne puisse trouver à présent une œuvre à son image.
Exposer sa sensibilité
Collectionner, c’est exposer aux yeux de tous le choix d’un objet esthétique qui correspond le mieux à sa sensibilité propre. L’acquisition engage de fait singulièrement la subjectivité du collectionneur. Par l’intermédiaire de l’œuvre qu’il a sélectionnée, celui-ci assume entièrement un regard, prend position dans le monde, s’affirme comme un sujet doué de sensibilité et de raisonnement. L’achat auquel il consent vient sanctionner le plaisir que lui procure la perception de l’objet esthétique. Une émotion qu’il a la possibilité de partager au quotidien avec son entourage, comme avec d’autres collectionneurs ou artistes. Il peut enfin participer à la vie institutionnelle des musées et des foires en contribuant, s’il le souhaite, au prêt ou au dépôt d’une œuvre à laquelle son nom sera associé.
Un capital culturel en héritage
Une collection permet de forger un patrimoine matériel et spirituel à transmettre aux générations futures. C’est prendre entièrement place dans son époque, en quête de l’art d’aujourd’hui qui appartiendra, demain, à la mémoire collective d’une nation. Se souviendrait-on de Calouste Gulbenkian (1869-1955) sans la collection qu’il a entamée à partir de quelques pièces de monnaie ? Son nom, désormais, est à jamais attaché à Lisbonne et à sa vie culturelle. Un prêt, une donation, un legs sont autant de façons de valoriser un capital culturel enrichi au cours de l’existence et de le faire connaître auprès d’un large public. Le collectionneur est ainsi pleinement acteur de l’histoire, son activité le situant à la croisée du passé, du présent et de l’avenir.
Le bien-être professionnel
Nombre d’initiatives originales ont émergé ces derniers temps au Grand-Duché dans le domaine entrepreneurial. Que ce soit pour façonner l’image d’une firme ou instaurer un environnement bienfaisant, une collection peut très bien servir des fins professionnelles. Arendt & Medernach s’est ainsi spécialisé dans la photographie contemporaine et promeut à travers elle l’émergence de jeunes talents. Ses acquisitions, imprégnées des valeurs humanistes chères à l’entreprise, sont exposées à son siège de Kirchberg. Le lieu de travail s’est changé en un musée permanent dédié aux sensibilités de notre siècle, tout en assurant aux collaborateurs un cadre de travail agréable et porteur de sens. Des espaces inédits de coworking ont aussi récemment vu le jour, tel Cloud Seven à Bruxelles, imaginé par le collectionneur Frédéric de Goldschmidt.
Un réseau de professionnels
Au sein de la scène contemporaine, le collectionneur n’est pas seul face à son choix. Bien au contraire, il est amené à intégrer un écosystème dynamique et enrichissant sur le plan personnel et social. Il peut tout d’abord s’appuyer sur l’expertise du galeriste, qui l’accompagne tout au long du processus d’acquisition. Mais pas seulement : le galeriste informe, oriente, éveille la curiosité du collectionneur à de nouvelles propositions artistiques à travers les expositions temporaires qu’il organise. Tout en se fiant à son propre goût, le collectionneur peut donc si besoin solliciter l’avis du galeriste – un professionnel dont la fonction consiste précisémentà promouvoir le travail des artistes. Collectionner, c’est aussi l’occasion de rejoindre une communauté d’artistes et d’entretenir avec elle une relation privilégiée et suivie dans le temps. Les visites d’atelier font partie des rituels qui rythment la vie du collectionneur, lui permettant d’accéder aux coulisses et de devenir un témoin complice du processus de création. Autre incontournable de la vie en réseau : la participation au vernissage, ce moment convivial qui ouvre chaque exposition. De nombreux acteurs du marché s’y retrouvent pour partager leur passion.
Évènements incontournables
En plus des expositions qui se tiennent régulièrement en galeries, des événements incontournables se présentent tout au long de l’année. Les foires de Bâle (Art Basel), Cologne (Art Cologne), Maastricht (TEFAF) ou Paris (Fiac, maintenant Paris+) comptent parmi les plus réputées d’Europe. Depuis 2015, le Grand-Duché s’est doté d’une foire internationale d’art contemporain qui connaît une irrésistible ascension. Fondée par Alex Reding, l’un des plus influents galeristes du pays, Luxembourg Art Week s’est solidement établie dans le paysage contemporain. Chaque année en novembre, elle rassemble une prestigieuse sélection de galeries, d’institutions et d’artist-run spaces qui représentent ce qui se fait de mieux dans le monde de la création. Les plus grands artistes locaux et internationaux y sont représentés avec leurs dernières œuvres et il y en a pour toutes les bourses et toutes les sensibilités, ce qui a permis à la foire d’attirer plus de 20 000 visiteurs l’année dernière. Aux collectionneurs qui se tâtent, son fondateur n’hésite pas à prodiguer ses conseils : « Il existe différents profils de collectionneurs. Il y a celui qui se lance dans un achat impulsif suite à l’émotion qu’il a ressentie au contact d’un objet d’art. Et puis il y a celui qui place sa collection au centre d’une réflexion à long terme. Cela dépend aussi du potentiel économique de chacun, ou encore de la stratégie que le collectionneur décide d’adopter. En termes de fréquence, souhaite-t-on acquérir plusieurs pièces par année ou préfère-t-on miser sur une seule œuvre importante ? Il est essentiel de bien savoir ce que l’on veut faire de son acquisition et à quel usage celle-ci se destine : personnel, social, professionnel ? Il faut considérer ces paramètres pour entamer une collection qui vous ressemble ».