Le pouvoir de la forme picturale

L'interaction dynamique entre les formes, les couleurs, la lumière, ainsi que la finesse du geste artistique et l'organicité picturale des surfaces caractérisent le travail de nombreux artistes présentés à Luxembourg Art Week. Les artistes s'ouvrent à différentes approches médiatiques, révélant une maîtrise picturale dans la manipulation et l'interprétation des sujets représentés.

Par Emanuela Mazzonis

Des visions anthropomorphiques hors du commun

« Visualisez une scénographie. Clouez les corps. Faites-les jouer », déclare Jim Delarge (1975, France), représenté par aquilaluna galerie (C15), Casablanca. Ses créations, entre abstraction et figuration, déstabilisent et troublent notre perception, mais attirent en même temps notre attention sur ces détails chromatiques qui suggèrent de nouvelles visions au-delà de l'ordinaire. Résines, pigments, huile, spray sur bois, métal ou plexiglas sont les médiums utilisés par l'artiste pour obtenir ses images anthropomorphiques.

Jim Delarge Present Entre Deux Irrealites Poetiques 2024 121x250 Cm Technique Mixte Sur Panneau Meleminejim Delarge
Jim Delarge, Présent entre deux irréalités poétiques, 2024 121x250 cm, Technique mixte sur panneau mélaminé

Mémoire et perception en dialogue

Le jeune Allistair Walter (1994, Allemagne), représenté par la Galerie Philipp Anders (D22), Leipzig, utilise différents supports tels que la photographie et la peinture, afin de développer sa propre pratique axée sur le dialogue entre mémoire et perception, subjectivité et réalité, déconstruction et construction, contenu et forme. La figuration et l'abstraction dialoguent en permanence, créant une distorsion visuelle et de nouvelles interprétations immatérielles possibles.

Allistair Walter K Hole 2023 Oil Canvas 45x35cm Copie
Allistair Walter, K-Hole (détail), 2023, huile sur toile, 45 x 35 cm

Hybridité, transformation et paysages fragiles

Des créatures hybrides et imaginatives sont présentées par François Morelli (1953, Montréal), représenté par Chiguer art contemporain (C20), Montréal. Une fluctuation de formes qui interagissent avec des figures délicates et réalistes nous amène à réfléchir à un état de transformation, de circulation et de transition constantes vers de nouvelles dimensions temporelles et visuelles.

Un autre artiste canadien, Jérôme Bouchard (1977), représenté par Galeries Bellemare Lambert (C12), Montréal, repousse les limites des techniques picturales en utilisant la micro-découpe, le grattage ou la micro-perforation pour créer des œuvres uniques et inédites. Réflexion sur le paysage contemporain, détérioré par la main de l'homme, ses œuvres interrogent nos responsabilités et la relation désormais ineffable entre l'humain, le non-humain et la machine. La destruction et la création sont une fois de plus une question sans réponse.

Francois Morelli Crows Nest Widows Walk Photo Guy Lheureux
Francois Morelli, Crow’s Nest Widow’s Walk © Guy LHeureux, Chiguer Art Contemporain

Paysages intemporels et horizons sublimes

Plusieurs artistes de différentes générations s'engagent dans une réflexion plus intime sur la signification du paysage aujourd'hui. Aharon Gluska (1951, Israël), représenté par la Galerie Lazarew (A12), Paris, utilise l'encre, les pigments bleus et la peinture pour créer des paysages imaginaires qui rappellent la mémoire géologique de notre terre, construisant de nouveaux scénarios loin des panoramas auxquels nous sommes habitués. L'humanité est absente, il n'y a aucune trace de civilisation, seulement la terre, le ciel, l'air et un temps suspendu qui immobilise l'atmosphère.

De même, Stefan Peters (1978, Belgique), représenté par Zwart Huis (A15), Bruxelles, peint des paysages insaisissables, presque intangibles, baignés d'une aura d'intemporalité. La majesté des montagnes domine la scène, et les tons souvent monochromes rendent l'atmosphère encore plus illusoire. Le jour et la nuit sont indiscernables, le temps s'est arrêté, mais la lumière triomphe des ténèbres. Un dialogue irrésistible entre la lumière et la couleur projette ces scénarios dans une autre dimension, où l'imagination et la fantaisie se rencontrent sans limites temporelles ou visuelles.

Une atmosphère similaire, empreinte de ce sublime typique du romantisme, se retrouve dans les peintures d'un autre jeune artiste belge, Loïc Van Zeebroek (1994, Belgique), représenté par Dauwens & Beernaert Gallery (B11), Bruxelles. Il dépeint des scènes monochromes où l'humanité est oubliée, des étendues solitaires et délicates de prairies verdoyantes ou des détails de vagues marines suspendues dans leur doux mouvement aquatique remplissent les scènes. Seul le silence du monde naturel rencontre le panorama ; le reste est perdu.

Gluska Bluecloud 36x43cm Pigments Encre Et Peinture Sur Papier Maroufle Sur Toile
Aharon Gluska, BlueCloud, 36x43cm, Pigments, encre et peinture sur papier marouflé sur toile

Traces de présence et d'absence

La figure humaine revient dans les œuvres de Peer Boehms (1968, Allemagne), représenté par la Galerie Anja Knoess (B18), Cologne ; il ne s'agit pas de véritables portraits, mais plutôt d'une trace de la présence humaine, comme une réflexion sur le lien entre l'image et l'absence, la présence et la disparition. L'artiste retravaille numériquement des photographies historiques trouvées en ligne et, à l'aide de l'évanescence de l'aquarelle, du café, de la poussière et de la précision d'un stylo à bille, il crée des scénarios qui existent dans leur propre cadre. Il y a des références à la réalité, mais la scène reste suspendue dans un nouveau contexte visuel, où le souvenir du passé se confond avec la certitude d'un présent encore à identifier.

Boehm Dann Ist Keine Eile Geboten 2025 Aquarell Kugelschreiber Auf Seekarte Auf Holz 30 X 40 Cm
Peer Boehm, dann ist keine eile geboten, 2025, aquarelle, stylo à bille sur carte marine sur bois, 30 x 40 cm

Objets du quotidien et dimensions oniriques

L'approche picturale de Robin Wen (1994, Belgique), représenté par Belgian Gallery (C04), Ixelles, oscille entre le fantastique et le réaliste. Il utilise le stylo à bille comme outil pour créer ses compositions, qui sont extrêmement précises et méticuleuses dans leurs détails et leur complexité. Les sujets sont tirés de la vie quotidienne, allant d'objets ordinaires à des portraits de personnes, souvent vues de dos, où la précision du trait rencontre la délicatesse du sujet, qui reste suspendu dans une dimension onirique.

L'attrait pour la simplicité des objets du quotidien est également évident dans le travail de Julien Lischka (1986, France), représenté par Sobering Galerie (B01), Paris. Des natures mortes modernes représentant des fleurs, des livres, des vases, des coins de rue ou des intérieurs privés se détachent sur des fonds monochromes, remettant en question l'équilibre entre immobilité et mouvement, joie et tristesse, émotion et stabilité. Comme dans une composition photographique, où la lumière révèle les choses, la lumière de sa peinture redonne vie à des objets ordinaires, trop souvent oubliés dans leur évidence.

Robin Wen Fleur 190 X 140 Cm Stylo A Bille Sur Papier 2025
Robin Wen, Fleur, 190x140cm. Stylo à bille sur papier, 2025

Nature morte et échos de la Renaissance

Enfin, dans l'œuvre de Renaud Suanez (1995 France), représenté par la Galerie Pauline Renard (D02), Lille, on retrouve également un intérêt marqué pour la nature morte contemporaine. Dans ses œuvres, réalisées à l'huile sur Dibond, l'artiste explore une fois de plus le rôle que jouent aujourd'hui les images dans la réalité qui nous entoure. Suarez représente des objets, mais aussi des personnes ; le temps est suspendu, mais la trace du toucher pictural redonne vie à la composition, qui rappelle les formes, les détails et le symbolisme de la Renaissance italienne.

Renaud Suanez Memento Mori 17 X 20 Cm Huile Sur Dibond 2025 Credit Renaud Suanez
Renaud Suanez, memento mori, 17 x 20 cm, huile sur dibond, 2025 ©Renaud Suanez