La Répétition
Commissaire : Éric de Chassey
En 1936, Marie Laurencin peint le tableau La Répétition. À première vue, rien ne s‘y distingue d‘une scène de genre convenue. Un groupe de jeunes femmes est assemblé ; l‘une tient un livret pour le chant, une autre une guitare pour la musique, une autre encore esquisse un pas de danse, tandis que les deux autres les regardent. Sans en avoir l‘air, ce tableau n‘est rien de moins qu‘une reformulation des Demoiselles d‘Avignon de Pablo Picasso, l‘une des œuvres inaugurales du modernisme : même rideau qu‘ouvre un des modèles, même nombre de figures féminines dans une composition pyramidale, mêmes rythmes chromatiques – un chien remplaçant au premier plan une nature morte. Sauf que, loin de multiplier les hétérogénéités, tout le tableau est marqué par un principe de redoublement. La répétition n‘est pas seulement le sujet du tableau (une répétition comme il en faut pour qu‘un spectacle soit réussi), elle est aussi sa méthode, incarnée par le fait que tous les visages sont identiques – un redoublement dans le redoublement.
L‘histoire de l‘art occidental aux XXe et XXIe siècles est marquée par la figure de l‘invention, synonyme affiché de la liberté de création, qui lui permet d‘affirmer son autonomie par rapport aux pratiques utilitaires, décoratives ou ornementales, où, depuis les premiers temps de l‘humanité, les motifs et les figures se répètent, comme le montrent aussi bien l‘imagerie religieuse que le papier peint ou l‘imprimé sur tissu. Nombre d‘artistes, et non des moindres, ont pourtant adopté la répétition comme méthode et comme objet, y trouvant, pour quelques œuvres ou de manière plus systématique, un mode de travail ou un sujet.
Les collections de nos musées sont généralement fondées sur la recherche des chefs-d‘oeuvre, ces moments exceptionnels, apparemment d‘un seul tenant, où tous les moyens des artistes convergeraient, un principe qu‘interrogeait l‘exposition inaugurale du Centre Pompidou-Metz, Chefs-d‘œuvre ?, en 2010-2011. Montrer comment la création peut aussi procéder par répétition, que celle-ci soit un moyen, un processus ou bien le sujet même des artistes, c‘est aller contre cette notion simpliste. Cette exposition s‘y attache, à travers un choix subjectif dans les collections du Musée national d‘art moderne – Centre Pompidou, enrichi d‘une sélection d‘œuvres complémentaires majeures, coupant à travers les classifications stylistiques, iconographiques, sociologiques et chronologiques qui en organisent habituellement la présentation.
Cette investigation prend tout son sens au moment où l‘on comprend, à travers la découverte des artefacts préhistoriques du néronien dans la grotte Mandrin (dans la Drôme), exécutés il y a 56 000 ans, que l‘Homo Sapiens s‘est distingué des autres espèces humaines par l‘application de méthodes systématiques, correspondant à un processus de répétition destiné à améliorer l‘efficacité de ses outils, là où les néandertaliens (qui les ont précédés et suivis dans la grotte Mandrin) manifestaient une liberté et une diversité d‘approches apparemment plus grandes. Être artiste, c‘est aussi répéter.
Montrer comment la création peut aussi procéder par répétition, insistance, multiplication, comptage, accumulation, plutôt que dans des oeuvres ou des gestes isolés n4en est que plus nécessaire.
Lieu: Centre Pompidou-Metz
Découvrez l'agenda culturel du Centre Pompidou-Metz pendant Luxembourg Art Week